Rez Gardi, quel but poursuit la participation du groupe de pilotage RSG à la préparation et à l’organisation de la conférence des ATCR ?
Les ATCR n’ont pas tardé à reconnaître que la participation des réfugié-e-s n'est pas seulement un « impératif éthique », mais peut aussi contribuer à amener des changements sur le plan politique et législatif. Elle participe à des solutions durables et efficaces, à des formes novatrices de défense des intérêts et au développement d’une politique plus proche de la réalité du terrain. La collaboration partenariale avec des personnalités dirigeantes ayant fui leur pays et jouissant d’une expérience personnelle recèle un énorme potentiel.
Pensez-vous que la participation active de réfugiés réinstallés au programme va changer les résultats et les priorités des ATCR ?
Les priorités n’ont pas à changer, car les ATCR font en général du bon travail pour ce qui est d’identifier des thèmes dans le cadre de la réinstallation. Mais le fait de disposer d’expériences de première main sur ce qui a fonctionné ou non dans la réinstallation ou la réimplantation enrichit les discussions. Cela permet d’évoquer des perspectives qui avaient peut-être été négligées. Les intéressés peuvent suggérer des améliorations. Pour trouver les meilleures réponses et solutions aux problèmes complexes auxquels sont confrontées des millions de personnes déplacées dans le monde entier, il faut l’apport de gens qui sont eux-mêmes passés par là . Leur participation aboutit à des solutions permettant de développer une politique plus proche de la réalité des réfugiés réinstallés.
Qu’est-ce qui vous importe, à titre personnel, par rapport à la conférence des ATCR ?
Pour moi, le plus important est d’offrir aux réfugiés une plateforme où ils puissent s’engager dans des discussions fructueuses avec d’autres acteurs. Il s’agit d’identifier les pratiques qui fonctionnent le mieux dans les différents contextes de réinstallation, afin de développer ensemble des solutions novatrices pour les défis à venir. C'est un appel à créer un espace qui nous permette à nous autres réfugiés d’utiliser nos capacités, nos perspectives et nos expériences et de participer directement aux décisions. Car en fin de compte, nous sommes les expert-e-s de notre vie et des problèmes qui nous concernent et nous devrions être traité-e-s comme tels. L’institution du RSG est un pas important vers la reconnaissance de la plus-value que nous apportons.
Avez-vous des idées de la manière dont on peut motiver des États à se montrer plus généreux dans l’accueil des réfugiés ?
Le droit de demander l’asile est théoriquement reconnu sur le plan international ; mais dans la pratique, beaucoup de personnes requérantes d’asile sont traitées comme des criminelles. Le discours politique au sujet des réfugié-e-s a glissé de l’idée que nous sommes « menacés » à l’idée que nous représentons « un risque ». Un système censé protéger quelques-unes des personnes les plus vulnérables au monde peut paradoxalement nous faire nous sentir encore plus vulnérables et plus démunis, ce qui aggrave encore la douleur d’avoir dû fuir notre pays d’origine. Il est important de changer le récit de ce que c’est que d’être un-e réfugié-e ; de redéfinir cette notion en des termes qui incluent la résistance et le courage. De rappeler que nous sommes des êtres humains et de souligner ce qui nous unit, plutôt que ce qui nous distingue. Les gens devraient prendre le temps de se demander comment ils aimeraient être traités à notre place.
Dans votre enfance, vous êtes vous-même passée par un processus de réinstallation : en 1989 votre famille kurde a dû fuir l’Iran à destination du Pakistan et a ensuite été admise durablement en Nouvelle-Zélande. Comment l’avez-vous vécu ?
Je n’ai pas choisi d’être une réfugiée ; je suis née en tant que telle dans un camp au Pakistan. J’ai personnellement expérimenté l’imprévisibilité de la vie et la menace constante de ne pas savoir où on ira ensuite, ni quand et si on sera en mesure de faire valoir des droits aussi fondamentaux que la nourriture, le logement et l'eau, sans même parler de l'instruction.
Mes parents se sont rencontrés en Iran dans les années 80. Ils ont été qualifiés de militants politiques, parce qu’ils luttaient contre la persécution des Kurdes et pour leurs droits. En 1989, mes parents ont été forcés de fuir l’Iran pour sauver leur vie. Ils ont illégalement passé la frontière à l’arrière d’un camion pour se rendre au Pakistan où la présence des Nations Unies représentait une lueur d'espoir. Arrivés à Quetta, ils ont été reconnus comme réfugiés à cause du danger qu’ils couraient. On leur a promis qu’ils seraient réinstallés en un lieu sûr dans les six mois. Au final, il a fallu neuf ans.
Dans quelle mesure ces expériences ont-elles marqué votre carrière professionnelle ?
Une passion profondément enracinée pour la justice m’a amenée, en tant que fille de défenseurs kurdes des droits humains, à faire carrière dans le droit. Je voulais comprendre la puissance du droit pour amener des changements positifs. J’aimerais aider à bâtir une société loyale et équitable et permettre aux gens d’avoir accès à la justice.
Au Pakistan, mon statut de réfugiée m’interdisait de suivre une formation. Et en Nouvelle-Zélande, quand j'étais à l’école secondaire, un conseiller en orientation professionnelle m’a dit que je devais « envisager d’autres options », parce que des études de droit seraient trop difficiles pour quelqu’un comme moi, une réfugiée d’une famille où personne n’avait fait d’études.
Au lieu de renoncer, j’ai décidé de viser le meilleur. Je suis devenue la première Kurde de l’histoire à passer un diplôme à la Harvard Law School. C’était pour moi une performance importante, car il ne s’agissait pas seulement d’étudier dans cette institution d’élite, mais aussi de briser toutes ces barrières, ces stéréotypes et ces préjugés. Je voulais prouver que nous autres réfugiés pouvons avoir des rêves plus grands que ce qu’autorisent les limites de nos expériences et identités. Il s’agissait de reprendre le contrôle de ma propre vie et, si possible, d’être un jour en mesure d’influencer les lois en vigueur pour les personnes déplacées comme moi autrefois.
Depuis 1995, des représentants du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que de plusieurs gouvernements et organisations non gouvernementales (ONG) des pays de réinstallation, se réunissent chaque année dans le cadre des Consultations annuelles tripartites sur la réinstallation (ATCR). Ils évoquent de nombreux aspects de la réinstallation durable des réfugiés reconnus, élaborent des approches communes et novatrices et traitent de nombreuses questions de stratégie et de procédure. Leur objectif consiste à améliorer la réinstallation et d’autres voies d’accueil humanitaire pour les personnes en quête de protection. Cette année, la conférence ATCR est coprésidée par le Secrétariat d'État aux migrations (SEM) et l'OSAR. Comme toujours, l’événement est placé sous la houlette des Nations Unies. Un groupe de pilotage exclusivement composé de réfugiés reconnus réinstallés s'est constitué l’année passée au sein de la communauté ATCR sous le nom de Refugee Steering Group (RSG). Pour cette conférence, il a pour la première fois été associé au programme et jouera par ailleurs un rôle actif dans l’organisation de la conférence.